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dimanche 1 avril 2012

Une balade avec Jim



Des routes américaines écrasées de chaleur, le bitume noyé dans des vapeurs brûlantes. Les traits discontinues se perdent dans le ciel descendu sur terre. Les auto-stoppeurs fantômes attendent sur le bord de la route, nous saluant quand nous passons, alors qu’ils vacillent dans la lumière droite et nue qui oblitère toutes les ombres. La route appelle à l’ivresse, au sens propre comme au sens figuré. Les fantômes me hantent, ou bien est-ce moi leur hantise, rêvée par eux, jetée sur cette ligne continue qui traverse toutes les saisons de la vie humaine ? D’orages en sécheresses, de tornades en accalmies accablantes, je roule sans fin, sans fin. Les harmonies des sixties vibrent sur mes vitres tandis que je me laisse aller à la contemplation du vide énorme qui pèse sur le toit de ma voiture. Le vide permet l’existence, il est la matrice primitive d’où naissent les vies à venir. Un calme infini m’envahit lorsque je pense à cet asphalte déroulé jusqu’au bout du monde.



Dans le rétroviseur s’éloignent les formes déjà vues comme dans un rêve déjà rêvé. Le temps sculpte le désert à la mesure de son infini. Les enfants pleurent en tendant les mains, vieille rengaine du monde qui ne s’est jamais arrêté, qui n’a jamais cessé de répéter, encore et encore,ses rythmes boiteux et malheureux, ses balbutiements d’ivrogne perdu dans un absurde cabaret au beau milieu des morts. Les villes enchevêtrées, déchirées comme des voiles de navire en perdition, des presque naufragées sur les rivages insensibles du désert.
Talalala...


Le blues, le spleen, la mélancolie, la détresse.
Le « tour de force ».
This all evening is being taped for eternity
Sur les traces du fantômes, du poète chanteur et chaman qui traverse les routes sacrées de l’Amérique mythique et de l’Amérique abîmée par ses propres idéaux. La jeunesse consumée d’un Rimbaud halluciné par la coke.
Wake up !!!
Je traverse des crépuscules mal définis où foisonnent des reptiles aux yeux durs et froids. Je passe la cinquième en dépassant un panneau blanchi par le soleil. Je m’envole dans une étendue vide faite plutôt pour les oiseaux que pour les êtres roulants ou marchants. La machine lancée à pleine vitesse dans un vaste gouffre solaire où son essence fuit dans les airs, saigne, saigne, chaque mètre lui enlève une fraction d’existence, tandis qu’elle traverse, symbole bruyant du progrès et de la liberté, chaque minute confrontée à sa propre fin. La fin se profile sur l’horizon qui sommeille comme une bête tapie.
Se détacher de tout pour puiser tous les excès de l’indifférence.
Wait ! There’s been a slaughter here !
Laisse, délaisse, oublie. Épouse cette atrocité comme elle se présente, toute nue devant tes yeux. Il n’y a aucune règle pour qui souscrit à la « noire liberté », car, on l’a dit, la liberté est noire. Alors laisse venir la nuit avec plaisir, car c’est elle qui te mènera aux chemins cachés, jusqu’à l’absurde, la démesure. Tu pourras enfin oublier que tu as voulus ignorer, que tu as voulus être et faire. Tu te débarrasseras de ta vie comme des vieux vêtements pour entrer dans l’au-delà, dans l’autre côté des sens et de l’esprit, la face cachée de toutes les nuits d’ivresse.
Le grand Canyon ouvre une faille démesurée comme si l’écorce terrestre avait été lacérée par un glaive céleste. Une plaie géante où s’entassent des ombres énormes. Nous ne descendrons pas là, avec les esprits des morts errants dans le vent sifflant. Non, nous resterons sur le seuil, roulant sur le fil qui nous sépare de l’abîme, et cette aventure de la limite fera de nous des fous, des mystiques initiés à un secret dérobé. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pantins dans leurs machines, de tous petits enfants aux yeux horriblement avides. Dieu nous a peut-être déserté, mais nous continuons à remplir l’espace où il s’était trouvé autrefois.
Écoute ! Quand tu es sur le seuil, tu es déjà à l’intérieur.
Mais personne n'écrit de préface à des livres qui n'existent pas.

Et pourtant je ne cesse de le faire, peut-être dans l’espoir qu’un jour, ce livre finisse par exister. Les commencements ressemblent à la fin. Seule la position change. Ouvrir la bouche ou se taire ? C’est toujours le même silence, qui précède ou termine, mais il est chargé toujours du même sens.
Tu préfères l’aurore ou le crépuscule ?
Cette question d’enfant me hante tandis que je descends dans la nuit sans regret, oubliée de tous, nue face aux abîmes, exposées durement à toutes les violences des ténèbres. Poète chétive, pas encore chaman, j’avance à tâtons dans les ombres primitives suivant la piste froide des origines.
All the children are insane
Wainting for the summer rain
Je suis captive d’un sortilège vieux comme l’aube. Celui qui fait de tant d’entre nous des étoiles filantes. Je ne suis pas aussi brillantes que vous, mais je suis vos traces avec des exorcismes sur les lèvres. La magie pure et noire de vos rites me transpercent d’angoisse, et pourtant je sais que c’est vous qui avez raison, avec vos peaux froides et vos yeux noirs.
The west is the best.
J’ai toujours su où aller. Vers l’ouest. Rouler.
The blue bus is calling us.
D’autres noms pour la mort, pour l’absolu. Ce bus, c’est celui qui t’a emmenée un jour vers des horizons horriblement réels, durs et matériels comme un cadavre. Ouverts et ruisselants de possibilités inconnues ruisselant vers toi. C’était aussi terrifiant qu’excitant. Tu savais que tu devais marcher au devant des cauchemars tout droit dressés sur ta route. Ce chemin balisé de créatures fantastiques aux mâchoires meurtrières. Tu avances dans les ombres sans confiance, mais timidement à la recherche de cette effleurement indescriptible, ce souffle amer et dévastateur qui nous a, un jour, donné la vie. Les fins et les commencements sont semblables, et c’est sans doute pour cette raison que la mort est aussi attirante. Je crois que nous voulons tous mourir. Et nous en crevons de ne pas mourir. La mort nous repousse et nous terrifie, et pourtant nous n’aspirons qu’à elle. N’est-ce pas la plus pure définition de l’amour ?
Vous le saurez peut-être, si un jour vous entendez l’appel de cet étrange bus bleu dont il nous parlait...
Il y a toujours ce sentiment étrange que la vie est suspendue à la musique qui s’écoule. Son développement emmène avec une douceur feinte, jusqu’à ce qu’elle nous abandonnée, évaporée dans la nuit noire qui la remplace.
Je suis suspendue à ses lèvres scellées depuis plusieurs décennies, dans l’ombre froide du caveau. Et pourtant elles continuent de murmurer pour autant d’étranges soirées, sans doute, qu’il en a vécues dans sa brève existence. Il a brassé les étoiles dans sa marmite de chaman, il en a extrait des décoctions, des concentrés d’harmonie, des breuvages de salut, des alcools brûlants d’absolu. Il a abreuvé des générations des songes ivres, se balançant comme des funambules entre la fin et le recommencement. Il a cherché les mots du dément et du saint pour soigner l’apathie moderne. Il a récolté les moissons empoisonnées des horizons pâles et fermés comme autant de visages sévères. Il a forcé les portes de l’au-delà avec son savoir vain d’homme moderne. Et il a cueilli les fruits encore verts d’une passion jamais assouvie.

Quelqu’un disait que le spectacle devait continuer, mais quand vient le son du glas, tout s’éteint dans des feux incandescents, et chacun sait qu’il doit renoncer. Au bout de ces routes innombrables qui meurent dans le désert, il y a cette figure debout, attendant la fin comme quelqu’un qui affronterait la tempête debout sur un digue battue par le Pacifique. Dans ses veines chantent de vieilles mélodies qui irriguent son corps d’électricité, il n’a pas peur, il écoute sonner toutes les cloches de l’enfer, debout devant le vide.

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