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mercredi 4 mai 2011

Electronaut

The LORD is my shepherd, I lack nothing.
He makes me lie down in green pastures,
he leads me beside quiet waters,
he refreshes my soul.
He guides me along the right paths
for his name’s sake.
Even though I walk
through the darkest valley,
I will fear no evil,
for you are with me;
your rod and your staff,
they comfort me.

[Psalm 23]

J'ai croisé la route de milliers de personnes. J'ai dépassé des milliers de voitures, je me suis fait dépasser des milliers de fois. Je parcours l'Amérique en tout sens sans jamais espérer débarquer nulle part. Je me glisse dans les interstices, dans ces ombres de routes qui traversent les déserts. Je n'attends rien, je n'espère rien. Je me contente de suivre les lumières. Les horizons qui éclatent. Les nuits qui se fendent en hémorragies d'étoiles. Les forêts qui crèvent sous la pression des ténèbres. Les montagnes qui se gonflent sous la main de l'éternité. Je n'ai pas peur.
Je n'ai pas peur.
Je me fous des carrefours, parce que je ne regarde jamais où je vais. Parfois, parfois seulement je m'arrête. Comme cette fois où j'ai retrouvée une vieille amie dans cette obscure ville du Minnesota. Nous avons discuté autour de bières tièdes, jusqu'à ce que le patron nous mette dehors. Ce soir-là j'ai entendu cette vieille rengaine qui ne cesse de me poursuivre. Le même son de cloche. Une voix en moi qui me rappelait le temps qui passe, et l'imminence de toute chose. Tout est toujours sur le point d'arriver : la fin, le début, l'éternité, la mort, la renaissance. Tout ça ne cesse d'arriver, et souvent en même temps. Ça ne m'a pas ramené à la raison. Ça n'a fait qu'exacerber mon désir. Jamais le son du glas ne m'a impressionné. Je le connais depuis trop longtemps. Son mot sombre et bas a hanté mes nuits des années durant. Je n'y prête pas plus attention qu'un fermier qui entend sonner midi depuis le clocher le plus proche. Elle l'a aussi entendu, je le sais. A son regard ce soir-là, je crois que c'était la première fois. Elle venait de commencer son périple. Moi, je le termine tous les jours, tous les soirs, quand je m'assois sur mon capot et que je regarde les étoiles. Et tous les matins, quand la lumière fait voler en éclats le chemin que je commençais à discerner par-dessus les brumes, vers le ciel. Elle a peur et elle roule plus vite pour distancer la nuit, ou le jour, ça dépend. Mais elle ne distance rien. Elle ne fait que se rapprocher.
Je n'ai pas peur. Je m'immisce dans tous les réseaux routiers. Je suis le réseau sanguin qui apparaît sur le papier froissé de ma carte, que je ne garde que parce que j'aime son dessin. Je n'ai pas de berger et pourtant je suis guidé. Je suis les autoroutes du ciel tout droit vers quoique ce soit qui nous attende tous. Je ne fais pas de détours. Je roule.
En Alabama, il y a des vrais bars à whisky. On y boit sans raison et sans espoir. On y attend l'aube en frissonnant. Là-bas les gens sont plus croyants que n'importe où ailleurs. Et pourtant, ils n'ont aucune idée en quoi ils croient. Ils se contentent de s'accrocher à leurs bouteilles.